Entretien avec Denis Podalydès et Stanislas Nordey pour Répétition, à la Comédie ce week-end

Depuis vendredi et jusqu'à dimanche, la pièce Répétition est à l'affiche de la Comédie de Clermont-Ferrand. Un spectacle signé Pascal Rambert et interprété par Emmanuelle Béart, Audrey Bonnet, Stanislas Nordey et Denis Podalydès.
Dans un décor de gymnase, on assiste à une répétition. Les personnages s'appellent Emmanuelle, Audrey, Denis et Stan. Ils sont acteurs, auteur ou metteur en scène; un postulat où la fiction rejoint la réalité.
Denis et Stanislas ont eu la sympathie de répondre à mes questions.

Moi : Dans Répétition, que vous emmenez en tournée depuis plusieurs mois, vous incarnez Denis, un écrivain et Stan, un metteur en scène. A chaque fois, la la lisière entre fiction et réalité est très ténue. Qu'y a-t-il de vous dans ces personnages?

Denis P : Ce qu'il y a de moi, c'est probablement le regard que Pascal a porté sur moi au moment où il a écrit ce texte. Ce ne sont que des choses diffractées, il n'y a rien de biographique, il n'y a aucune révélation sur moi, je ne parle pas dans mes propres mots, mais il y a l'émanation de choses qui se sont dites entre nous,  de souvenirs qu'il a en commun avec moi. Donc ce qu'il y a de moi, c'est plutôt avec lui qu'il faudrait le voir. C'est un reflet.

Stanislas N : Il y a à la fois tout et à la fois rien. Le personnage de Stan est avant tout un rêve de Pascal Rambert, il a projeté des chose sur le personnage et l'homme que je suis. Il n'a pas du tout écrit à partir de ma vie. Bien sûr je suis metteur en scène,  bien sûr il y a des choses qu'il dit sur l'engagement, sur l'espoir, que je pourrais dire aussi, mais c'est quand même complètement une fiction. C'est un plaisir aussi d'être dans une fiction et d'être appelé par son vrai nom. Pour moi il n'y a pas de trouble, je sais que ce sont les mots d'un personnage écrit par Pascal Rambert. 

Moi : Denis, vous avez écrit un essai "Scènes de la vie d'acteur", dans lequel vous vous interrogez sur le paradoxe du comédien. Ce paradoxe est-il encore plus marqué dans la pièce?

Denis P : Peut-être,  c'est possible que le fait de s'appeler Denis accentue l'écart qu'on peut avoir avec son personnage, surtout quand on l'a joué après un certain temps. Dans les premières représentations,  et je pense que c'est pareil pour tous les rôles, il y a une confusion du rôle et de soi-même, parce qu'on est pas tout à fait au clair, on est dans le trac, l'angoisse, on ne sait pas encore ce que les autres vont en penser. Je ne dis pas qu'il y a une schizophrénie qui se met en place, il n'y a jamais rien de ça, en tous cas, pour moi. mais le rôle est complètement lié à la vie intime. Et puis avec le temps,  au fur et à mesure que l'on joue, sinon on ne pourrait pas jouer autant de fois, on deviendrait fou, le rôle se met à une certaine place : pour moi, il occupe la loge, et l'image matérielle c'est le costume, qui reste dans la penderie de la loge, et je le retrouve au moment d'entrer en scène. Sinon, le reste du temps, ça ne me concerne pas, ça me concerne évidemment dans mon métier, ça me passionne. Mais cette confusion du rôle et de ma personne ne se passe plus. Les choses sont dans un certain ordre.

Moi : Dans cette pièce, les monologues sont longs. La parole est brute, il y a peu de mouvements. Comment vous êtes-vous préparé pour ce rôle?

Denis P : Curieusement, ce ne sont pas des monologues. Les monologues, ce sont des formes solitaires lorsque le personnage est seul en scène et s'adresse soit à lui-même, soit au public.Là,  ce sont des adresses aux uns et aux autres. On est sans arrêt traversé par le regard et le silence de l'autre, puisqu'il ne répond pas. Cela s'est mis en place, non pas dans la mémoire individuelle - pendant des mois j'ai appris ce texte qui est long - et la règle c'était d'arriver au premier jour de répétition avec le texte su, donc il y a eu toute une phase solitaire d'apprentissage du texte. Mais là, à partir du moment où on l'a répété ensemble, les regards et les mouvements des uns et des autres,  aléatoires, improvisés chaque soir, nous ont obligés à un travail différent : ne pas penser le texte comme une chose en elle-même, comme un monologue, mais le penser comme un ensemble de relations. de réponses à des silences et à des regards, à des mouvements, une interaction permanente. C'est un spectacle qui a lieu dans le moment présent où le spectateur le regarde. On est dans les 2 heures 15 du temps,  et nous-mêmes sommes dans ce présent qui à chaque seconde est inquiétant, où tout peut changer à tout moment, où un partenaire peut prendre n'importe quelle décision.

Stanislas N : C'est physique, je dirais, car dans Répétition ou Clôture de l'amour, à partir du moment où on prend la parole, on la garde. C'est physiquement éprouvant, car il faut être porteur du texte pendant 40, 50 minutes, seul. En même temps, vous dîtes qu'il n'y a pas beaucoup de mouvement, il y en a pas mal finalement. La singularité, c'est que chaque soir, Pascal nous demande de réinventer complètement la mise en scène, donc on est très libre de nos mouvements. Je crois que c'est Antonin Artaud qui a parlé de l'acteur comme un athlète affectif, et c'est exactement ça avec le théâtre de Pascal Rambert, d'être à la fois extrêmement présent physiquement et émotionnellement sur le plateau.

Moi : Cette pièce apparaît comme la fin des illusions pour les 4 personnages,  eux qui voulaient changer le monde. Avez-vous déjà ressenti ce sentiment de désillusion sur le monde qui vous entoure?

Denis P : Personnellement, je suis toujours dans la lutte contre la désillusion, car je trouve que c'est la chose la plus facile en fait, perdre les illusions il n'y a rien de plus simple, le temps qui passe, le vieillissement, l'habitude nous poussent à perdre nos illusions. Même dans un monde qui dit qu'il va bien, quand il sort de catastrophes historiques comme les guerres, j'ai l'impression que le monde ne va jamais bien, qu'il est perpétuellement en crise, que la terre est jetée dans le temps, on est en lutte contre une dimension permanente, de malheurs, de catastrophes. Je ne me considère pas du tout comme quelqu'un de désillusionné, je déteste l'amertume, je me méfie énormément de la nostalgie, je déteste le déclinisme. Je crois que hier c'était effectivement mieux par rapport à avant-hier. Les gense se plaignent tout le temps. Il faut écouter ceux qui se plaignent avec plus de raison que d'autres car il leur manque tout.

Stanislas N : Je suis un optimisme fondamental. Je ne suis jamais dans la désillusion, je suis toujours dans l'illusion. La pièce porte un message, qui est assez éloigné de moi. C'est aussi pour ça que Pascal a écrit cette dernière partie du spectacle, que je porte, qui est la partie porteuse d'espoir et d'illusion. Peut-être qu'il a reconnu là quelque chose de mon propre caractère. Je ne suis pas quelqu'un imbibé d'un pessimisme ambiant. 

Moi : Que diriez-vous à quelqu'un qui hésite encore à venir vous voir jouer Répétition?

Denis P : Il verra mes partenaires, il verra de beaux acteurs, qui sont au meilleur d'eux-mêmes, je parle pour Stan, Emmanuelle et Audrey. Et il y a un texte qui lui parlera, je pense, très intimement.

Stanislas N : Je lui dirais que le plaisir du spectateur, c'est souvent de voir des performances d'acteurs et le théâtre de Pascal Rambert est un théâtre qui repose sur la virtuosité des acteurs. Je vais me mettre en dehors, pour ne pas dire que je suis un acteur passionnant, mais Audrey Bonnet, Emmanuelle Béart et Denis Podalydès, c'est du lourd! C'est une possibilité de voir de magnifiques acteurs sur un plateau de théâtre, pendant un peu plus de 2 heures, sans filets :  c'est aussi voir des acteurs prendre des risques et ce n'est pas toujours le cas. 




                                                          Crédit photo ©Jean-Louis Fernandez







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