Brûlé vif

 




J’ai travaillé quatre ans pour Clermont 1ere, une chaîne de télévision locale qui appartenait au groupe Centre France. C’était mon premier job. J’étais journaliste à la rédaction. JRI : journaliste reporter d’images. Ces trois lettres signifiaient que je devais tout faire toute seule : filmer, monter, écrire, poser ma voix. C’était l’école de la débrouille. Rue Morel-Ladeuil. On était payés au lance-pierres mais on rigolait beaucoup. C’est aussi là que mes collègues sont devenus mes amis. Romain, Cécile, Stéphanie, Ariane, Magalie, Raphaël, Jasmine sont les premiers prénoms qui me viennent en tête. Désolée pour tous ceux à qui je pense mais que je ne citerai pas. La liste est trop longue. Car on en a vu passer du monde à C1 ! Et des tonnes de stagiaires aussi. Cette télévision avait un petit côté artisanal mais nous parvenions malgré tout à produire des reportages. On n’allait pas gagner le Pullitzer avec nos PAD (Prêt à diffuser : reportage télé) mais nous avions le mérite de tisser un vrai lien avec nos téléspectateurs. C’est ça l’info de proximité. 

C’est dans ce média que j’ai appris mon métier. Chaque matin, après la conférence de rédaction, je partais en tournage avec ma caméra. Objectif : livrer un reportage pour l’édition du soir de 18h30. Je ne compte plus les interviews, les couvertures de manifestations, les reportages au Conseil régional ou départemental (on disait général à l’époque), les procès aux assises, les spectacles à la Comédie et les expos au FRAC… Anonymes, délégués syndicaux, artistes ou hommes politiques se bousculaient à mon micro. Parfois, quelques people venaient à la télévision pour être interrogés dans le journal.  Il m’arrivait aussi de les interviewer sur le terrain. 

C’est ainsi qu’en 2007, avec Romain, nous avons couvert la primaire du PS, lors de l’élection présidentielle. Ségolène Royal, Laurent Fabius et DSK s’affrontaient. Il fallait se battre aussi avec les autres médias présents pour obtenir un son, une image. Un grand moment. Quand je revenais de reportage, je me précipitais dans le banc de montage, non seulement pour préparer mon sujet, mais pour papoter en toute discrétion avec mes collègues. Si le banc n’était pas libre, la salle des archives faisait l’affaire. Heureusement qu’il n’y avait pas de micros pour nous entendre ! 

J’y ai passé quatre merveilleuses années. Avec Romain et Raphaël nous partagions l’écran pour une émission hebdomadaire en direct. Autour d’un invité fil rouge, nous évoquions l’actualité de la semaine passée. J’assurais la chronique web. Romain prenait un malin plaisir à me lancer sur un texte improbable. C’est ainsi qu’il m’a surnommée « la madonne du numérique » devant l’archevêque ! On a frôlé l’incident diplomatique. Quelques minutes avant le direct, nous nous retrouvions tous les trois dans la cabine de maquillage. Marie-Dominique nous aidait quelques fois à nous préparer. Bien souvent, nous nous tartinions le visage de maquillage bon marché et nous ressemblions à Jacques Seguela sortant d’une cabine UV. Je crois que j’ai rarement autant ri que pendant ces quatre années passées à C1.  

Un 24 décembre, alors que nous n’étions pas inspirés pour le JT du soir, mon rédacteur en chef a proposé un sacro-saint micro-trottoir sur le thème des cadeaux de Noël. Laetitia m’accompagnait jusqu’à la place de Jaude. Je filmais et elle interrogeait les badauds. « Quel serait votre meilleur ou votre pire cadeau de Noël ? », telle était la question posée. Les Clermontois répondaient globalement avec gentillesse et se prêtaient au jeu. Vers la fin du reportage, un homme s’est avancé vers nous. Dès les premiers mots prononcés, j’ai su que nous partagions un héritage lusitanien. Clermont-Ferrand est la deuxième communauté portugaise après Paris. Il n’était pas rare de tomber sur un cousin lointain lors d’un micro-trottoir. Laëtitia lui pose la première, puis la deuxième question. Arrive le moment du pire cadeau de Noël. Et là, venue de nulle part, une réponse va devenir mythique. Le gars répond, en roulant les R, avec un accent terrible : « Mon pire cadeau de Noël, ça serait de brûler vif ! ». A oui, en effet, monsieur, cela serait vraiment un pire cadeau de Noël. J’ai du mal à contenir mon rire. Ma collègue aussi. Nous remercions poliment notre interlocuteur. Et là le fou rire nous gagne, à peine le sympathique Portugais parti. Nous sommes rentrées à la rédaction en pleurs. Nous avons ameuté toute la télé pour que nos collègues viennent voir cette réponse culte. J’y repense souvent.  C’était ça C1. « Broulé vif » ! 

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