La Cabra



Je vous ai raconté hier mon goût pour les planches mais j’ai omis de vous évoquer un épisode, peu glorieux certes, mais qui j’espère saura vous faire sourire. En janvier 2006, je débarque à Clermont-Ferrand. Je signe mon premier CDI à Clermont Première, la chaîne locale du groupe Centre France La Montagne. Le courant passe bien avec mes collègues. L’une d’elles, Mélanie, une jolie et sympathique scripte, me propose d’intégrer sa troupe de théâtre en espagnol. Elle fait partie du SUC, Service  université culture de la fac Blaise Pascal, l’ancêtre de l’Université Clermont Auvergne. Son idée me fait hésiter mais la perspective de pratiquer la langue de Cervantès tout en jouant me semble séduisante. Je dis banco !


Je découvre alors le cours de Mireia, une énergique Espagnole, qui a déjà commencé à faire travailler sa troupe sur un texte, en vue d’une représentation en fin d’année. Je prends le train en marche. Les apprentis comédiens sont tous étudiants, des filles pour la plupart. Plusieurs nationalités sont représentées. Il y a Stefie, une Allemande avec un fort accent germanique quand elle parle espagnol, ce qui est assez exotique. Il y a bien sûr des étudiants français, plus ou moins bons en espagnol. Parmi les comédiens, une magnifique Madrilène, Elvira, très bonne histrionne. 


Je m’intègre rapidement au groupe. J’aime pratiquer l’espagnol, une langue que j’ai apprise dès la sixième, en classe européenne. Je vous ai déjà parlé ici de mon amitié avec mon professeur d’espagnol, Jorge De la Encina. Je prends du plaisir à jouer en espagnol. La pièce que l’on va représenter en fin d’année, en public, s’appelle « Caballos desbocados » que l’on pourrait traduire par « Chevaux en fuite » ou « Chevaux lâchés ». Elle raconte le périple d’une troupe de clowns et de comédiens. en Espagne. Ce que j’ignore, c’est que si Mélanie m’a proposé d’intégrer le groupe du SUC, c’est qu’un comédien manque à l’appel, pour un rôle, disons, particulier. Celui de « La cabra », c’est-à-dire de la chèvre ! J’incarne un ruminant qui est doué de la parole, et qui apprend même à lire ! Mon haut fait d’armes consiste à lire un livre en lançant « À Bêêê Cêê Dêê » et à sauter dans un cerceau. Le tout en espagnol bien sûr !


Je prépare mon rôle avec sérieux. J’apprends mon texte par cœur. Je parviens à chaque fois à faire rire mes camarades de jeu. La scène finale est une Sévillane, une danse espagnole. Les répétions s’enchaînent. Mireia perd parfois son sang froid. Mais nous nous amusons beaucoup. Son compagnon, lui aussi espagnol, l’assiste pour la mise en scène. Le mois de juin arrive. La date fatidique approche. Nous voilà au pied du mur. Nous allons jouer « Caballos desbocados » en public. Petite précision : la pièce joue plus de deux heures. Dans la salle de spectacle où nous assurons la représentation, deux soirs de suite il me semble, la jauge est petite. Et heureusement. Dans le public, des amis des étudiants, leur famille et quelques profs de la fac. Nous assurons le spectacle, avec des performances individuelles inégales. Vient alors mon tour, avec la scène-clef où le mammifère herbivore récite l’alphabet. Je précise que mon costume est une peau de bête imposante, dans laquelle je perds toute dignité et 10 kilos à chaque soir, en sueur. Nous sommes en plein été. Je récite mon texte, et ça marche. Je provoque l’hilarité dans la salle. La pièce se poursuit, nous terminons par la danse, le public applaudit. Mireia a réussi son pari. 


Je croyais que l’histoire allait s’arrêter là. Détrompez-vous. Quelques jours plus tard, je suis invitée aux 40 ans de Saolo, un Brésilien. Il s’agit du compagnon de l’époque de Nadège, aujourd’hui amie précieuse et marraine de mon fils. Comme ils sont tous deux profs à la fac, Nadège a invité plusieurs enseignants de l’université. Je ne connais personne. J’essaye de discuter. Je rencontre une femme très polie. Au bout de quelques minutes, elle s’interrompt et me dit : « Mais c’est bien sûr : vous êtes la Cabra! ». Mon quart d’heure de célébrité warholien vient d’arriver. Elle a reconnu le ruminant qui parlait en espagnol. Quelle cruelle consécration ! Le ridicule ne tue pas, mais je ne suis pas loin de mourir. Je suis honteuse. À ma grande surprise, elle me félicite pour ma prestation. Je n’ai peut-être pas tout raté. Je n’ai pas tout gâché ces deux soirs-là. Elvira est aujourd’hui mon amie. Elle n’hésite pas à remettre sur la table ce curieux rôle comique. Pour elle, je suis et je resterai à vie La Cabra. Bêê ! 

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