Un message poli




Cela fait maintenant six ans que j’ai commencé à travailler à France 3. Six ans que j’ai une adresse e-mail estampillée France•tv. Je me rappelle exactement du premier message reçu à cette adresse professionnelle. Son expéditeur : un certain Daniel De Poli. Il commençait ainsi : « Madame. Je me permets de vous écrire car j'ai lu avec intérêt votre article publié vendredi mais souhaitais cependant faire une remarque concernant l'emploi de l'anglicisme mail. En effet, il serait plus correct d'utiliser à l'avenir le terme français équivalent et courant courriel, employé abondamment dans la presse francophone internationale, dans des millions d'articles ». Il poursuit son message en expliquant pourquoi il faut éviter les anglicismes, rappelle les règles de l’Arcom et cite la charte de France Télévisions :« Les personnels intervenant à l'antenne sont tenus à un usage correct de la langue française, conformément aux dispositions de la loi no 94-665 du 4 août 1994. Ils s'abstiennent, à ce titre, d'utiliser des termes étrangers lorsqu'ils possèdent un équivalent en français. ». 

J’ai appris plus tard que je n’étais pas la seule cible de ce Daniel De Poli. En effet, j’ai découvert que ce retraité prend un malin plaisir à contacter, un par un, les journalistes férus d’anglicismes. Dans un article de 2023 du Figaro, on peut lire : « Ce défenseur de la langue de Molière s'appelle Daniel De Poli. «J'ai commencé à écrire mes premiers messages il y a environ 25 ans. Aujourd'hui, j'en suis sûrement à plusieurs dizaines de milliers», estime ce polyglotte de 54 ans, qui pilonne les salles de presse depuis le clavier d'ordinateur de son domicile, dans la banlieue de Strasbourg ». Ce chasseur de termes inappropriés a sans doute un logiciel qui scanne les articles employant des anglicismes.  J’ai reçu un autre message du roi de l’orthographe : au sujet de l’utilisation du mot espace de coworking. 
Outre la chasse aux anglicismes, ce fonctionnaire du ministère des Transports déplore aussi la féminisation des titres. Nombre de journalistes se sont ainsi vus reprocher l'utilisation de «cheffe», «autrice» ou «agente», autant de termes qualifiés «d'aberrations lexicales». Cette position vaut à Daniel De Poli d'être plus royaliste que l'Académie française, qui s'est résolue à la féminisation des noms de métiers en 2019

J’ai été surprise par ces messages de cet ayatollah de la langue française. En parlant avec d’autres collègues, j’ai compris que j’étais loin d’être la seule à avoir été épinglée. En somme j’ai vécu cela comme une consécration : j’ai été interpellée par cette terreur bienveillante de la presse francophone. Un but dans mon job, enfin mon travail. 

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