La censure



Parmi les souvenirs les plus marquants de ma carrière, je repense souvent à un reportage réalisé alors que j’étais en stage à TLM à Lyon. On doit être en 2002. Je suis stagiaire à la rédaction de la télé locale. Je filme, je réalise des interviews et je monte des sujets. Je ne suis pas la seule stagiaire. Je croise la route d’Anne-Laure, Aurore, Karelle, Karima, Stéphane, Alexis, Sylvain et de bien d’autres encore. Ludovic est le stagiaire de Sandry : il est en charge de la production d’une émission sur la vie étudiante il me semble. Sandry est en arrêt maladie. Il manque un reportage pour boucler l’émission mensuelle.  Thème du programme : les nouvelles façons de faire son éducation sexuelle. Comme nous sommes relativement autonomes et débrouillards, le rédacteur en chef nous confie la réalisation du reportage manquant. 


Grâce à Gaelle, camarade de promo de l’époque, je dégotte une famille du 6e arrondissement qui accepte de parler face caméra de sexualité. Il nous manque un témoignage. Nous calons une séquence dans un club échangiste du 1er. Place des Terreaux. Le jour du tournage arrive. On est en plein hiver. En plein après-midi, Ludo et moi nous rendons dans ce club très fermé du centre-ville. Je mets les pieds pour la première fois dans ce genre d’établissement. Le patron nous accueille chaleureusement. Le club est fermé au public à cette heure-là. Je suis très mal à l’aise. Ludovic aussi. Le gérant nous propose de faire le tour du propriétaire. Nous défilons dans les différentes pièces de l’établissement. Une table d’examen de gynécologie avec des étriers, une potence, chaque salle réserve son lot de surprises. J’imagine les scènes qui ont dû se passer là. 


Nous passons à l’interview. Nous choisissons le cadre. C’est moi qui filme. Je prépare ma caméra. Mon camarade installe le micro. Nous choisissons un premier lieu. L’interview commence. Très vite j’arrête tout. Je n’avais pas remarqué au second plan la diffusion d’un film porno… Il faut changer de cadre. L’interview se passe bien. Le patron des lieux est charmant. Pour nous remercier il nous propose un verre.  Ludo et moi acceptons. Je demande un coca. Je n’ai jamais examiné un verre avec autant d’attention. Je me demandais ce qui avait bien pu rentrer dans ce contenant. Je n’étais pas rassurée. Finalement nous le remercions pour son accueil, nous remballons notre matériel et nous sortons de ce lieu en sous-sol, sans aucune fenêtre. 


Nous sommes morts de rire. Pour couronner le tout, il neige à gros flocons. La place des Terreaux est blanche. Ludovic et moi rentrons prudemment à la rédaction, en nous remémorant l’instant mythique que nous venons de vivre dans le club échangiste. Nous n’avons pas le temps de cogiter car il faut monter le sujet. Avec sa belle voix chaude, Ludo pose son commentaire. Là encore, un fou rire nous attendra au moment de poser sa voix sur le commentaire et en particulier pour trouver le bon ton pour parler de « censure ». Un instant Kodak. Au final ce reportage ne sera pas une grande réussite. Je retiens surtout les rires et les regards complices avec Ludo. Plus de 20 ans après, nos liens sont forts. Il est marié, a deux beaux enfants, travaille à Paris. Il est rédacteur en chef d’une émission de C8. Avant tout, il est mon ami, pour la vie. 


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