Un jardin extraordinaire



C’était un jardin extraordinaire. Celui de mon grand-père maternel, Daniel, à Digoin, en Bourgogne. Celui-ci passait sa vie dans son potager, à bichonner ses salades, ses cornichons, ses haricots et autres légumes. Je me souviens encore du goût extraordinaire de ses tomates et je n’ai jamais réussi à le retrouver. J’aimais le suivre dans les allées de son jardin, proposant mon aide. Mon activité favorite consistait à cueillir des carottes, les passer sous un filet d’eau et à les croquer immédiatement. Un régal. 
Avec mon grand-père, nous partagions une grande complicité. Il n’était pas toujours tendre, mais plein d’humour. Je me rappelle de sa calvitie qu’il cachait sous une casquette ou un béret, et surtout de ses beaux yeux bleus espiègles, héritage du passage des Celtes au Portugal. Avec une silhouette un peu ronde, il m’impressionnait, mais pas autant que ses mains de travailleur. Il avait quitté son petit village d’Aldeia Velha dans les années 50, pour venir en France, avant de s’installer définitivement avec sa femme et ses enfants, en Saône-et-Loire en 1959. Il avait tout naturellement travaillé à l’usine Allia de 
Digoin. 

Le racisme anti-Portugais il l’avait connu. Lui-même n’était pas toujours très ouvert. Je me souviens de quelques réflexions pas toujours de bon goût. Il n’allait plus à la messe, écœuré par l’Eglise et ses curés et laissait ma grand-mère Thérèse à ses bondieuseries. Il aimait suivre l’actualité politique. Je me souviens de ses analyses sur Mitterrand, Giscard, Pasqua. J’étais pourtant haute comme trois pommes. je crois qu’il disait qu’ils étaient « tous pourris ». Je me demande aujourd’hui s’il n’était pas un peu anarchiste. 
Il ne parlait pas très bien français. Et c’est lui et ma grand-mère Thérèse, ainsi que mes grands-parents paternels Arminda et José qui m’ont appris le portugais. Il adorait m’attribuer des surnoms. Toujours très imagés. C’est ainsi qu’il m’appelait la « caricinha do Verdier ». Que mes cousins portugais me pardonnent si je me trompe, mais je crois que cela signifie « le petit oiseau du Verdier », le Verdier étant un quartier de Digoin. Nous jouions beaucoup ensemble, notamment aux cartes, durant les étés que je passais avec Thérèse et lui. 

Mon souvenir le plus fort est celui d’une tricherie. Nous jouions dans le jardin à faire deviner à l’autre combien de doigts levés nous cachions dans le dos de l’adversaire. Encore une fois, pardon pour mon inexactitude en portugais, on appelait ce jeu «  Licoutinho licoutão ». Celui qui devinait le nombre de doigts levés devait se pencher en avant, et son adversaire récitait une comptine en chantant, tout en tapotant sur le dos de son adversaire. J’espère être assez claire. Ce jour-là, j’ai offert à mon papy Daniel une belle tranche de rigolade. En effet, je devinais à coup sûr combien de doigts il cachait dans mon dos. À chaque questionnement, je visais juste. Encore et encore. Mon grand-père ne comprenait pas comment je parvenais à deviner le nombre de doigts levés. J’ai fini par lui avouer que, lorsque je me penchais pour qu’il me tapote sur le dos, je voyais l’ombre de ses mains portée sur le sol, grâce au soleil. Je devais avoir 5 ans et je trichais sans vergogne ! Nous avons ri encore et encore. Ce sont ses rires, cette complicité dont je veux me rappeler à jamais. 

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