La matanza




En revenant de notre escapade en Bourgogne en famille, j’ai voulu passer devant la rue où habitaient mes grands-parents paternels, à Digoin, en Saône-et-Loire.  Ils ont d’abord vécu dans une maison, non loin de la gare. Pas très grande, de plain-pied il me semble. Ma grand-mère Arminda y a vécu assez longtemps, avec son mari José. C’est là qu’elle me gardait souvent, avec ma cousine Céline. Je me souviens de goûters pain-chorizo ou pain-beurre où le pain était passé au four, de pschitt orange bus goulûment, de jeux avec ma chère cousine. Un souvenir très précis me revient alors. 

Je dois avoir 3 ou 4 ans. C’est l’hiver. Nous sommes dans la cour. Arminda s’enthousiasme alors qu’elle voit débarquer une voiture dans la cour. C’est l’Ami 8 de mon père. À l’arrière, un cochon immense gît. Car c’est jour de fête à Digoin : on tue le cochon. Toute la famille est réunie. Les anciens sont là pour prêter main forte. Je revois ce porc pendu au plafond, le couteau qui s’enfonce dans l’animal, la vapeur qui se dégage de la bête, les entrailles qui jaillissent. Mes grands-parents préparent la viande, découpent les morceaux, remplissent les boyaux pour en faire des saucissons, des saucisses, des buchos (panse farcie), des farinheiras (saucisse fumée) ou des boudins noirs. À midi, on mange les premiers morceaux de viande ou le foie du cochon. Un moment de partage unique. 

Les frères de mon père sont là. Une odeur de sang, d’épices, de boyaux a envahi la maison. Les gestes des femmes qui s’affairent sont maîtrisés. Des années qu’elles les ont appris au Portugal, pour finalement les répéter à la perfection en France. C’est vraiment la fête. Dans quelques mois, après avoir fumé les saucisses, les saucissons, ma famille dégustera cette charcuterie au goût unique. Une façon économique d’avoir de la viande toute l’année. 

Ces images ont plus de 40 ans. Elles sont intactes. Le son de la voix de ma grand-mère, l’odeur de la viande, tout est là. Ce cochon impressionnant me hante encore. Car ce jour-là c’est la « matanza », l’abattage du cochon. En repassant à Digoin, j’ai tout ressenti. La maison de mes grands-parents a depuis été rasée. Des mauvaises herbes géantes ont remplacé le lieu de mon enfance. À quelques mètres de là, le HLM où Arminda et José ont fini leur vie est toujours là. Tout comme les souvenirs de mon enfance heureuse. 

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