Faites entrer l’accusé


Depuis que je suis enfant, je rêve d’être journaliste. Je regardais Anne Sinclair les dimanches soirs dans 7 sur 7 avec les yeux qui brillent. J’ai ensuite fait des études afin de toucher du doigt ce rêve. C’est en avril 2002 que j’ai compris que ma vocation était bel et bien là. A l’époque, je suis à l’EFAP, une école de communication de la Croix-Rousse à Lyon. Je me cherche encore. Je viens de passer deux ans en prépa littéraire puis un an en fac de lettres. Dans cette école privée, je réalise mes premiers stages. Je découvre ce qu’est une rédaction en arrivant à Radio Espace, un média lyonnais. L’info n’est pas la priorité de la direction mais elle n’est pour autant pas négligée. En 2002, me voilà équipée d’un micro et d’un enregistreur pour aller à la pêche aux sons. En avril, Lyon est au cœur de l’actualité judiciaire. La cour d’assises du Rhône accueille le procès de Patrick Dils. Mon rédacteur en chef m’y envoie tous les jours. Mon but : ramener des sons mais surtout placer le micro de Radio Espace sur toutes les images réalisées par mes confrères.  Une drôle de ligne éditoriale. 


Chaque matin, une nuée de journalistes attend les avocats, les familles. Patrick Dils a été condamné en 1989 à la réclusion criminelle à perpétuité pour le meurtre de deux enfants à Montigny-lès-Metz en 1987. Quand il arrive à Lyon, il a passé près de 14 ans en prison et clame son innocence. Son procès lyonnais est celui d’une erreur judiciaire. Petit à petit, le dossier à charge s’écroule, l’ancien apprenti boulanger n’est plus le coupable idéal. Ses aveux ont été arrachés. Lyon accueille un procès historique, puisqu’à l’époque, jamais un accusé n'a été jugé trois fois pour les mêmes crimes. Depuis 1989, Patrick Dils ne cesse d'entrer dans les annales. Premier mineur condamné à la prison à vie, il a vu ­-cas rarissime-­ cette peine effacée par la cour de révision. La présence avérée du tueur en série Francis Heaulme à Montigny avait fait naître un doute suffisant sur la culpabilité de Dils. Le tueur en série est « la star » du procès. Le jour où il vient témoigner, toute la presse l’attend. Assise dans le palais de justice, je tremble à l’arrivée de Francis Heaulme dans la salle. Il a du mal à se faire comprendre, sans doute à cause d’une prise importante de médicaments. Mais quelque fois, ses mots sont glaçants. Il dit à la barre : « Ces deux enfants ce n’est pas moi. Mon style c’est l’Opinel ». En effet, les deux petites victimes ont été tuées à coup de pierres. Son visage me hante encore aujourd’hui. 


Le tournant du procès arrive. Le témoignage du maréchal des logis Jean-François Abgrall. Avec une précision chirurgicale, le gendarme détaille le parcours criminel de Francis Heaulme, « le routard du crime ». Il conclut à la signature criminelle du tueur en série à Montigny-lès-Metz. Une audition qui innocente Patrick Dils. Dans la salle, tous les journalistes sont surexcités. Ils savent que ce procès est historique. Il ne manque plus qu’aux jurés de se prononcer pour l’acquittement de l’accusé. Je suis fébrile. 


Le 24 avril 2002, la cour d’assises du Rhône livre son verdict.  Patrick Dils est acquitté. Des cris de joie parcourent la salle d’audience. Les journalistes télé se précipitent pour faire leur direct et donner l’info dans les JT du soir. Je revois encore Dominique Verdeilhan de France 2 se précipiter dehors pour rejoindre son JRI. Dans la salle des pas perdus et devant le palais de justice c’est l’effervescence. Je n’ai jamais vu autant de journalistes au mètre carré. J’enregistre mes interviews et je pars à la prison Saint-Paul assister à la libération de l’acquitté. Encore une nuée de journaliste. J’arrive péniblement à placer mon micro devant la bouche de Patrick Dils. Je suis bouleversée par ses mots. Après près de 14 ans en prison, il est libre. Il est très digne et n’en veut pas à la justice française. Il est innocent. Enfin reconnu. 


A 22 h 30, TF1 kidnappe la famille Dils, à l'issue du verdict d'acquittement, soit un quart d'heure après que Patrick Dils a quitté la prison Saint-Paul sous les flashs des photographes. Toute la journée du lendemain, l'innocenté, son père et sa mère, Jean et Jacqueline Dils, ainsi que son jeune frère, Alain, sont demeurés «dans un endroit secret», situé «entre Lyon et Valence», où la chaîne de télévision les a conduits et placés sous bonne garde. La famille ne devait réapparaître que le soir, devant les téléspectateurs de l'émission de Julien Courbet, Sans aucun doute. La chaîne avait négocié cette exclusivité avec l'avocat de Dils, Jean-Marc Florand. Le montant payé par TF1 n'avait pas été rendu public.


Un an plus tard, alors que je serai en stage à TLM, télévision locale de Lyon, j’aurai la chance de revoir. Patrick Dils. Grâce à Anne-Sophie Maxime et à Paul Satis, j’ai pu assister à son retour à Lyon, une année après son acquittement. J’ai même consacré mon mémoire de fin d’études à cette affaire. J’ai rencontré les avocats de la partie civile et de la défense, ainsi que la présidente de la cour d’assises. C’est lors de ce procès, aux côtés des journalistes aguerris, que j’ai compris que je voulais faire ce métier. J’ai croisé Fabrice Arfi, Alice Géraud,  Etienne Baudu , Brigitte Vital-Durand et même des journalistes étrangers venus couvrir le  procès. Ce 24 avril 2002 restera marqué dans la mémoire. Le 25, après une courte nuit, j’irai couvrir le meeting d’entre deux tours de Jacques Chirac, après le séisme du 21 avril. Jamais je n’étais autant sûre de moi que je voulais devenir journaliste. C’était il y a 21 ans. 

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