Gitano

 


Lopes, Lopez. Je tiens à ce que mon nom de famille soit bien prononcé avec le S à la fin. J’ai beau épeler mon patronyme portugais, en précisant la consonne finale, dans la plupart des cas, je me vois affublée d’un Z final. Une fois, dans le cadre professionnel, cela m’a beaucoup fait sourire. En 2017, un membre de la communauté des gens du voyage, un certain Jason Lopez, avait enlevé son fils. L’alerte enlèvement avait été déclenchée. Je couvrais cette actualité pour Sud Radio, média pour lequel je pigeais à l’époque. J’avais bien précisé au présentateur du journal de prononcer mon nom avec un S à la fin. Rien à y faire, on a lancé mon reportage ainsi : « Jason Lopez est activement recherché. Les précisions de Catherine LopeZ à Clermont-Ferrand ». 


Mais cette déconvenue avec les gitans n’est pas la seule. Quelques années plus tôt, toujours au travail, j’ai connu une drôle de mésaventure. A l’époque, je suis journaliste à Clermont première. C’est mon premier job. Mon rédacteur en chef me confie un reportage sur un vol de métaux qui a débouché sur des interpellations dans un camp de gitans, près de Clermont-Ferrand. Je devrai ramener des images, non seulement pour la petite chaîne locale, mais aussi pour LC1. Comme le sujet est complexe, je pars non pas seule comme à mon habitude, mais avec Sylvain, un stagiaire. Nous veillons à ne pas prendre de voiture logotée C1, afin de faire les images du camp en toute discrétion. Les gens du voyage n’aiment pas qu’on les filme. Nous partons donc avec ma voiture, une Clio noire des plus banales. 


Je suis au volant. Nous arrivons près du camp de gitans. Je demande à Sylvain de filmer discrètement. Nous restons à distance. Nous avons peur de nous faire repérer. Le stagiaire filme. Je suis très prudente. Il m’indique qu’il a fait toutes les images mais qu’il aimerait faire un dernier plan, un travelling en passant près du camp. Je suis d’accord. Je m’approche lentement du camp, Sylvain tient la caméra. Je m’apprête à partir lorsque je m’aperçois que nous avons été repérés. Un gitan hurle, monte dans une voiture et se lance à notre poursuite. 


Dans le rétroviseur, je vois le véhicule dangereusement se rapprocher. J’accélère. Je me crois dans un mauvais film. Je ne parviens pas à le semer. Je suis pied au plancher. Soudain, nous arrivons à un rond-point. Le gitan passe devant nous et nous bloque le passage. La voiture pile. Nous voilà bloqués. Le gitan sort de sa voiture comme une furie. Un routier ne comprend pas ce qu’il se passe et vient à ma rescousse. Il s’approche de ma Clio lorsque le membre de la communauté des gens du voyage lui ordonne de rentrer dans son camion et mime un égorgement au cas où il ne comprendrait pas sa menace. Dans la voiture, nous sommes terrifiés. Le gitan est tout près de ma voiture. Je bloque les portières. Il crie et demande qui nous sommes. Je répond en hurlant : « Je suis journaliste! ». Il enchaîne : « Pour qui ? ». Je crie : « Clermont première et LCI ! ». Pas sure qu’il connaisse. Il tape contre les vitres, essaye d’ouvrir les portières. Je répète en boucle : « Je suis journaliste ! ». J’ai alors l’idée de chercher ma carte de presse et de lui montrer. J’attrape mon sac, trouve le sésame et le plaque contre la vitre. Le gitan, qui n’est que furie, comprend enfin mon métier. Et là, alors que je crois que ma fin est proche, il redevient doux comme un agneau. Il n’est plus agressif. L’homme fait demi-tour, remonte dans sa voiture et repart sans un mot. La scène est surréaliste. Dans la Clio, Sylvain et moi sommes choqués. Les automobilistes bloqués au rond-point klaxonnent. Nous repartons vers la rédaction. A peine le temps de me remettre de mes émotions, je dois monter le reportage.  Show must go on. Cet épisode m’a profondément bouleversée. Le soir-même, c’est Ariane et Martial, mes collègues qui m’accueilleront chez eux, afin de me réconforter. Je me souviens m’être effondrée et avoir pleuré. Je revois encore les yeux du gitan me menaçant. C’était peut-être un Lopez. J’aurais dû lui dire que nous étions cousins. Cela aurait peut-être évité cette course-poursuite qui m’a marquée à vie. 

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